Les start-ups françaises vues de l’étranger

Cambon Partners — Fundraising
4 min readApr 20, 2020

French flair, french touch, french kiss… Les étrangers ont pour habitude d’attribuer aux français des singularités parfois justifiées, parfois sans fondement. Qu’en est-il en matière de start-ups? Les VCs étrangers ont-ils détecté chez nos jeunes pousses des attributs particuliers, des petits plus qui font la différence, ou au contraire des freins qui leur sont propres?

Nous avons posé la question à deux femmes qui connaissent bien les écosystèmes français et européens : Cayetana, espagnole qui officie chez Balderton Capital et Evgenia, russe chez Dawn Capital, toutes deux basées à Londres.

Un écosystème en pleine transformation

Deux VCs unanimes sur un premier point : les choses ont bien changé ces dernières années pour les start-ups françaises. “Comme c’était le cas pour d’autres pays, l’écosystème français était très centré sur lui-même, ce qui constituait un premier frein à l’investissement étranger”, assène sans détour Cayetana. Evgenia le confirme : “Il y a quelques années seulement, la France n’apparaissait pas sur la carte des VCs, notamment des fonds anglo-saxons”.

Que s’est-il donc passé pour que les start-ups françaises bénéficient aujourd’hui d’une bien plus grande visibilité aux yeux des capitaux étrangers ? D’après Cayetana, l’un des premiers leviers se révèle être “les nouvelles technologies, qui ont permis d’agrandir considérablement le réseau traditionnel, jusqu’à un horizon international. Les contacts sont aussi plus simples à établir. Cela rend l’accès à l’investissement plus simple.”

Evidemment, , cette explication n’est pas la seule. « Il y a désormais en France beaucoup plus de capital d’amorçage, et la BPI a joué un rôle fondamental à ce sujet. » Et Evgenia d’ajouter : “On est arrivé à un moment où les premiers qui ont profité des investissements redonnent à l’écosystème”. Des success story qui ont eu le mérite de montrer la voie, de “donner envie et confiance aux entrepreneurs français”, affirme Cayetana. “En France, il y a aujourd’hui plus de start-ups dont les idées ne viennent pas forcément se greffer à des business existants. On sort des chemins battus, on explore plus de secteurs — les modèles complexes en fintech ou des boites de logiciels en SaaS par exemple. Ces deux secteurs étant le focus de Dawn, on voit de plus en plus de start-up francaises qui rentrent dans notre thèse d’investissement”. Evgenia appuie ce propos : “Devenir entrepreneur est désormais un chemin plus valorisé que cela ne l’était auparavant, quand les élites n’avaient en tête qu’une carrière traditionnelle dans les grandes entreprises.” Une évolution qu’elle explique par un changement significatif dans le système éducatif français.

Un enseignement spécifique qui s’adapte

Elle précise sa pensée : “La manière dont on approche l’éducation en France n’était pas propice à la création de start-ups. Des carrières plus traditionnelles étaient aussi plus acceptables. Mais la France a accepté le défi de ce changement culturel.” Tout en s’appuyant sur des forces sur lesquelles Cayetana est prolixe : “La France dispose de très nombreux développeurs, très expérimentés. Cela s’explique par une très bonne formation technique, mais aussi une grande curiosité, une capacité à se renouveler. Le niveau des écoles d’ingénieurs en France est très élevé, et les écoles préparatoires permettent d’utiliser le plein potentiel des étudiants.”

Evgenia voit même en la France une terre de « champions à l’échelle mondiale, notamment en matière d’intelligence artificielle ». Et Cayetana d’ajouter : “Avant, la France, c’était le pays du luxe et de la mode. Aujourd’hui, c’est le pays de l’IA et du machine learning”.

Un avenir prometteur qu’il convient de corréler avec l’évolution de l’écosystème français pour Cayetana : “Le talent est partout dans le monde. Mais l’écosystème aide. L’accès aux autres talents ou aux capitaux est plus complexe dans un endroit reculé.” Et pour une fois, les avis divergent puisque si Evgenia pense aussi “qu’il n’y a pas de monopole géographique sur les talents”, elle précise : “Nous avons investi dans toute l’Europe. Les start-ups se créent avec moins d’argent qu’avant”, relativisant le propos de sa consœur.

Une marge de progression importante

Toutes deux se rejoignent en revanche pour apporter quelques conseils aux entrepreneurs français et les aider à attirer encore plus à eux les fonds d’investissements étrangers. Pour Evgenia, il est question d’ambition : “Les start-ups françaises sont encore trop frileuses à attaquer d’autres marchés. Elles sont parfois trop conservatrices, trop réalistes. J’aimerais voir le prochain Slack être créé en France. Un champion global français, c’est possible. On est capable de créer des technologies en Europe.”

Cayetana la rejoint complètement sur le sujet : “Plus l’ambition est élevée, plus les VC étrangers vont être attirés. Le seul talent ne suffit pas.” Et d’ajouter : “Le problème, c’est que l’ambition, ce n’est pas forcément bien vu en France. Alors que les fonds US notamment ont besoin d’une vision. Les Français sont très bons analyser le passé voire le futur. Mais il y a un vrai souci autour du story telling.”

Les deux VC ont par ailleurs d’autres conseils, d’autres axes d’amélioration à partager avec les start-ups françaises. Pour Cayetana, il y a aussi “un souci aussi au niveau de l’internationalisation. Les start-ups françaises, voire européennes, ont tendance à aller uniquement sur les pays qui leur ressemblent, en se concentrant trop sur l’Europe. Elles sous-estiment le saut de puce, qui peut parfois s’avérer plus coûteux ou moins rentable qu’une ouverture vers les USA. Il faut sortir de ce réflexe et penser au cas par cas. L’intuition de l’évolution de proche en proche n’est pas forcément la meilleure.”

A Evgenia le dernier conseil : “Ne pas s’interdire d’attirer des talents étrangers, depuis les pays anglo-saxons ou les pays scandinaves, d’utiliser la diversité multiculturelle. Les start-ups françaises peuvent se le permettre, car elles créent de vrais champions. Et il existe des francophones, ou à minima des francophiles, à travers le monde entier. Et puis on peut sans doute accepter, désormais, de ne plus parler uniquement français dans un open space !”.

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